2023-fev Projet de méthaniseur à Guéret : le sprint des opposants pour empêcher sa construction
Média localMédia local - articleUn sujet : le méthaniseur qu’Engie veut construire à Guéret. Une position : la fronde contre ce projet qui dénonce « trop de zones d’ombre ». Une urgence : porter un recours en justice avant la date butoir du 19 février. Telle est la pièce en trois actes qui s’est jouée, mardi 14 février, devant 150 personnes à Guéret.
Réunir, un soir de semaine, plus de 150 personnes dans la grande salle de la mairie de Guéret n’est pas anodin. Pas plus que de les voir rester alors qu’un problème de micro a rendu presque inaudible le propos des intervenants durant tout le début de la soirée.
Au menu de ce mardi 14 février : « Un méthaniseur industriel à Guéret. Pourquoi, par qui, pour qui, comment ? ».
L’associative, la citoyenne, l’expert et l’élu
Pourtant, jusque-là, ce projet porté par la SAS Biogaz Grand Guéret, une filiale d’Engie, au bord de la rue du Cros au nord de Guéret, n’avait pas trop défrayé la chronique. Ni attiré les foules lors de la consultation publique dans les mairies concernées [1] de l’Agglo du Guéret.
Il avait juste animé les débats, en fin d’année dernière, lors de conseils municipaux de Guéret et d’une plénière de l’Agglo. Il faut dire que le dossier du projet et de ses impacts fait 600 pages. Qui veut se farcir un tel pensum ?
Les quatre intervenants l’ont fait : il y a “l’associative”, Marie-Christine Girault, présidente de France nature environnement Creuse (FNE 23). La “citoyenne”, Justine Vercellotti, qui s’est investie sur le sujet tout comme elle avait lutté à l’époque contre le projet de mines à Lussat. “L’expert”, c’est Dominique Guinot, médecin passionné, lui, par les pathologies environnementales. Il s’est intéressé aux digestats des méthaniseurs comme il s’était, par le passé, investi sur les pesticides en Haute-Vienne. Il y a, enfin, l’élu, le premier adjoint de Guéret Guillaume Viennois qui va exprimer ses doutes et « questions sans réponses » sur ce méthaniseur.
Des doutes, il n’a été question que de cela.
Car, soyons clairs, aucun des intervenants n’a révélé de dangers avérés. Ni même de nuisances garanties, Marie-Christine Girault racontant même qu’elle réside depuis cinq ans à un kilomètre d’un méthaniseur agricole (à Bonnat) et qu’elle n’a jamais « senti d’odeurs, sauf une fois durant quelques mois ».
Aucun des quatre n’est d’ailleurs riverain du projet, ni ne représente ce voisinnage : il n’y a aucune habitation dans le rayon de 700 mètres retenu dans l’étude comme pouvant être impactés.
Ils n’ont pas dit non plus que la méthanisation?, c’était mal. Surtout « si elle reste au niveau d’une ferme pour évacuer les fumiers et lisiers de l’éleveur ».
C’est l’adjectif “industriel” qui change tout.
Ça, et les zones d’ombre qu’ils disent avoir dénichées dans le dossier. Tant sur le projet lui-même que sur ces conséquences qui n’auraient pas été évaluées à leurs justes périls.
D’abord, un petit rappel : un méthaniseur génère du gaz issu de la fermentation de ce qu’on met dedans. Là, ce sera pour moitié des fumiers et lisiers de quatre fermes du pays de Guéret. Choisies dans un rayon de 15 km maximum, afin de limiter le bilan carbone dit le dossier.
L’autre moitié se composant de tontes et fauches non valorisables en alimentation animale. Au terme de la fermentation, on en sort le “digestat” qui sera épandu sur les terres agricoles des fermes qui ont contractualisé.
« Engie ne va pas investir 6 millions pour qu’il ne tourne pas »
Sauf que le dossier ne contient pas ces contrats, signalent les intervenants. Rien n’assure donc que ces fermes fourniront les effluents. Il en faut 12.700 tonnes par an... soit, évalue un agriculteur de la Confédération paysanne dans le public, les déjections annuelles de 1.200 bovins.
Y en a-t-il autant dans les 15 kilomètres autour de Guéret ? Et puis, c’est de l’allaitant à l’herbe, élevé dehors ? ; « les fumiers on n’en produit qu’en stabulation durant l’hiver ». Or, un méthaniseur industriel, « ça ne s’arrête jamais ».
Et les tontes de pelouses et d’espaces verts ? « En tant qu’élu, je rêverais que nos tontes soient valorisées, indique Guillaume Viennois. Mais il y a toujours des saletés, des mégots, du plastique... impropres à rentrer dans un méthaniseur. »
Alors, quoi lui faire “digérer” ? « Car Engie ne va pas investir six millions d’euros pour qu’il ne tourne pas. » D’autant plus que le rendement est déjà faible détaille, Justine Vercellotti : le gaz produit ne représente que 7,4 % de la consommation de l’Agglo. D’ailleurs, Guillaume Viennois rappelle que l’Ademe [2] a émis une réserve sur l’économie du projet : le modèle proposé est-il rentable ?
Et les craintes s’éveillent. Celles de voir les agriculteurs se mettre à faire du maïs pour nourrir la machine plutôt que pour leurs bêtes. « Depuis que je vis près d’un méthaniseur, je vois beaucoup de culture et moins de bêtes autour de chez moi », témoigne Marie-Christine Giraud.
Crainte, aussi, que le risque d’explosion soit mésestimé à quelques centaines de mètres de cuves Picoty. « En France, il y a déjà eu 327 sinistres, de tous ordres sur les méthaniseurs », rapporte la présidente de FNE 23 avant de citer une étude d’un collectif d’experts « qui sont loin d’être des écolos excités » évaluant que « 85 % des méthaniseurs en France fuient ».
La circulation des camions ? « Sous-évaluée », par rapport à ce qu’annonce le dossier, estiment les intervenants. Laissant imaginer les centaines de passages de tonnes à lisiers dans Guéret pour amener les effluents et ramener le digestat à épandre... « Tu parles d’un bilan carbone ! »
Le projet affirme qu’il n’y a plus de pathogènes dans les matières qui sortent du méthaniseur. Le Dr. Guinot en doute : « à 70°, la température de fermentation, tout ne peut être détruit ». Du moins, le dossier ne contient pas d’études assez précises là-dessus.
Trouver 8.000 euros avant dimanche pour ester en justice
Ces imprécisions, ce « flou » font que « nous, on considère qu’il y a danger », conclut Marie-Christine Girault en convoquant le principe de précaution et invitant la salle à réagir.
Comment ? En aidant à porter un recours en justice. Pour cela, les opposants veulent réunir associations – ils ont déjà la FNE 23 [3] – des élus, ceux de la majorité de Guéret ? – « On va prendre notre décision très prochainement », annonce Guillaume Viennois – et des citoyens : il y en a plein la salle.
Les réunir... mais vite. Car le méthaniseur a été adopté à la majorité par les élus de l’Agglo et il a déjà été validé par l’État, l’arrêté préfectoral ne laisse que jusqu’au 19 février pour ester en justice. Et la démarche d’un recours n’est pas gratuite, il faut aussi trouver 8.000 euros.
L’associative, la citoyenne, l’expert et l’élu ont-ils convaincu ? La salle a applaudi. La pétition s’est remplie. Que donnera la collecte de fonds ? On ne le saura que le 19 février si le recours a pu se concrétiser.
Eric Donzé
La Montagne, édition Creuse, 15 février 2023. Tous droits réservés
https://www.lamontagne.fr/gueret-23000/actualites/pourquoi-les-opposants-a-un-methaniseur-prevu-a-gueret-s-engagent-dans-un-sprint-pour-empecher-sa-construction_14263253/
[1] Guéret, Bussière-Dunoise, Bonnat, Glénic, Champsanglard, Jouillat, Saint-Fiel, Saint-Sulpice-le-Guérétois, Ajain et Sainte-Feyre.
[2] À noter que Guéret environnement questionne aussi le projet.
[3] À noter que malgré ses réserves, l’Ademe a approuvé le projet.